Je m’appelle Vincent, et j’ai trente-deux ans. Je suis tombé sur une femme de quarante-trois ans, très jolie et très distinguée. Je lui ai donné mon numéro de téléphone sans réelle conviction, sans rien attendre de cette nouvelle rencontre. Fatigué, je suis fatigué par le travail récent dans lequel je me suis engagé pour échapper à mon passé douloureux, à cette place de consolateur, de soutien auprès de ma famille. J’en avais assez, je devais enfin penser à moi et ma propre souffrance, à la possibilité de la vivre et de la surmonter. Ma petite sœur est morte. Je ne l’ai pas supporté. Proche d’elle, développant des affinités et une complicité très fortes, je me suis rendu compte à quel point elle était primordiale dans ma construction. Je l’aime, je l’ai aimée si intensément que je me suis perdu dans mon chagrin, ma tristesse, à tout remettre en cause, ma profession, mes amis, mes parents, ma relation à tous ces domaines de ma vie. Je suis parti loin, et pourtant c’est toujours en moi. Je me tue au travail, je me plonge dans les regards flatteurs de ces femmes que je ne connais même pas. Je me sens exister, et ça me suffit, aujourd’hui. 

 

Éléna est brillante, je l’ai revue avec enthousiasme. Elle semblait avoir la tête sur les épaules, elle n’avait prévu qu’une simple amitié entre nous. Je l’ai convaincue que nous deux, c’était possible, même quelques secondes, même quelques minutes et surtout quelques heures. Ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’elle soit séduite par moi de façon aussi pleine et entière. Je me suis senti dérouté, déstabilisé. Je ne veux pas qu’on attende quoi que ce soit de moi, je ne veux pas m’attacher ni me sentir enchaîné. Je l’ai vue et sentie bousculée, mais je n’y ai rien fait. J’ai juste ajouté avec calme : « il ne faut pas tout donner, car en donnant tout, on n’a plus rien pour soi » quand elle me disait qu’elle était tentée d’entrer dans cette logique. J’ai compris que j’avais été un petit con en le disant de manière désinvolte, en plus. J’ai surenchéri « Je suis un petit con ! » et elle l’a répété. Le choc s’est imprimé en elle, et le silence s’est installé entre nous. Sa déception de m’entendre et de me voir si détaché d’elle, de ses émotions m’a poussé à m’approcher d’elle, tentant maladroitement de la consoler. La déception s’est transformée en colère, j’étais en train de perdre les étoiles de ses yeux qui brillaient dans les miens. Son regard s’est égaré, et le mien recherchait le sien désespérément. Un rapprochement physique allait pouvoir casser ce malentendu. Je l’ai embrassée, l’ai prise dans mes bras, je l’ai déshabillée, je l’ai laissé me déshabiller, je l’ai soulevée jusqu’à mon lit, et nous avons fait l’amour. Oui, l’amour, je voulais lui transmettre tout mon désir. Je ne peux pas, au fond, lui transmettre autre chose, même si je lui ai dit que moi, je n’avais pas peur. 

 

Je l’ai laissé espérer et je l’ai abandonnée. Elle me manque aujourd’hui, mais je reste persuadé qu’il est mieux pour nous de ne plus nous revoir parce que je ne peux pas lui apporter ce qu’elle souhaite, cet amour profond et sincère. Je ne veux plus de dépendance affective, je ne veux plus faire ma vie en fonction des attentes des autres. Je veux me sentir libre de fréquenter qui je veux quand je veux jusqu’à ce que je ressente l’urgence et le désir profond de vivre à deux. 

 

Est-ce que je suis trop égoïste ? Suis-je vraiment un petit con ? 

 

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